C'est le début du Printemps au ruisseau de la Brasserie!

Une brêve histoire du ruisseau de la Brasserie

Il n'est pas facile de reconstituer l'histoire du ruisseau de la Brasserie qui est un acteur muet de l'histoire de la ville de Hull, en Outaouais. Les archives photographiques de la Ville sont très rares à son propos, pour ne pas dire inexistants. Pourtant, ce ruisseau qui contourne l'île de Hull est essentiel à sa population et gagnerait à être connu. Encore aujourd'hui, peu de gens connaissent même le nom du ruisseau et pourtant on n'hésite pas tous les jours à emprunter sa voie cyclable, faire du tennis, du camping, du ski, de la photographie, de l'observation des oiseaux, pêcher, faire du canot, se rendre à l'école ou y faire une réception de mariage! C'est tout dire! Cette page est une sorte d'hommage à la biodiversité du ruisseau de la Brasserie et un moyen de sensibiliser la population qui ne se rend pas toujours compte de la chance qu'il a de posséder ce petit joyaux naturel après plus de 150 ans de maltraitance et de méconnaissance. Avec le peu d'informations que j'ai réussi à collecter, je  vous raconte donc l'histoire particulièrement intéressante du ruisseau de la Brasserie...

Il y a plus de 20 000 ans...

C'est l'Ère glaciaire ou Glaciation du Wisconsin pour l'Amérique du Nord. Une énorme calotte de glace de plus de 2000 mètres d'épaisseur recouvre entièrement le Québec ainsi qu'une bonne partie du Canada et s'étend jusque au nord des États-Unis...Le continent s'affaisse sous le poids de la glace.


La Glaciation du Wisconsin a commencé il y a 80 000 ans de cela. Le Groenland, Le Canada et une petite partie des États-Unis sont sous la glace. Dessin de Mélissa Courchesne.



De 17 000 à 13 000 ans...

Plusieurs migrations humaines (asiatiques, polynésiennes, aborigènes et même européennes!) entrent dans le continent américain. La mégafaune (Mammouth, Tigre à dents de sabre, Cheval, Loup sinistre, Castor géant) commence à décliner à cette époque. Vers 13 000 ans avant notre ère, la glace commence à fondre provoquant une hausse du niveau des océans. Comme la dépression du front de glace se trouvait sous le niveau de la mer, l'eau salée de l'océan Atlantique envahit la vallée de l'Outaouais, créant une mer appelée la mer de Champlain.

La mer de Champlain (environ 12 800 avant notre ère)

Cette mer d'eau saumâtre assez froide recouvre les basses terres du St-Laurent et toute la vallée de l'Outaouais depuis Québec jusqu'à 130 km à l'ouest d'Ottawa! Des îlots forment le paysage où des morses prennent l'habitude de s'y reposer. Les Canards kakawis nidifient sur les côtes. Des bandes de Bélugas fréquentent la région, de même que des requins! La mer est très poissonneuse: l'Esturgeon, le Terrasier tacheté, le Lycode et le Capelan font partie des espèces communes  de cette époque et différentes espèces de mollusques, d'éponges et d'oursins parsèment le fond de la mer. Sur les terres libérées des glaces, le couvert végétal est de type toundra. La mer de Champlain existera pendant 2000 ans, puis va se retirer de la région à mesure que le continent se relève.


Mer de Champlain, selon S.Ochietti. Dessin de Mélissa Courchesne d'après une carte. Les deux bras de mer qui s'allongent dans la vallée de l'Outaouais (au-dessus du nom de Hull) contenaient de l'eau douce.
 


Il y a 9800 ans avant notre ère...

La glaciation se retire de plus en plus vers le nord. La température augmente. L'eau de la mer de Champlain est devenue trop douce. Les espèces marines déclinent au profit des espèces de poissons d'eau douce tel que le Saumon qui fera partie du régime alimentaires des Paléoindiens établis tout au long du fleuve St-Laurent. La croûte continentale se réajuste. La mer de Champlain n'existe plus...Les changements climatiques modifient le paysage: la toundra est remplacée par une phase d'afforestation qui sera suivie ensuite par la naissance des premières forêts en Outaouais. Les cours d'eau et les ruisseaux se forment également. Le ruisseau de la Brasserie va finalement s'écouler sur son assise de roches calcaires, qui compose une grande partie du sol de l'Outaouais et qui sera un jour exploité par les hommes au XIXe siècle...  

De 6000 ans à 3000 ans avant notre ère...

De nombreuses peuplades amérindiennes nomades occupent alors le bassin hydrographique de l'Outaouais depuis des temps immémoriaux. Qui sont-ils? Les Anishnabeks ou si vous préférez les Algonquins. Trois tribus vivant en Outaouais composent cette nation: les Oueskaniris (appelé Petite Nation), les Kichesipirinis et les Kotakoutouemis. On sait peu de choses sur eux, sinon qu'ils pratiquent le troc, la chasse, la pêche et qu'ils s'adonnent à la cueillette du sucre d'érable durant l'hiver. Justement le ruisseau de la Brasserie possède de belles érablières! De plus, le grand Pin Blanc, l'Épinette, l'Orme, le Frêne, le Chêne, le Merisiers et le Sapin poussent communément dans la région. Les Amérindiens aiment bien fréquenter cet endroit et connaissent bien l'existence de notre ruisseau particulièrement poissonneuse, dont ils longent la rive pour se rendre vers les Chutes des Chaudières, situées juste en face de son exutoire...


Un prisonnier de guerre est ramené par deux Iroquois au village où la communauté décidera de son sort (sacrifique aux dieux ou adoption).  Le premier Iroquois porte des scalps au bout de sa lance. Manuscrit attribué au jésuite Joseph Chaumonot, 1666. Illustration tiré du livre: Les Iroquoiens du Saint-Laurent, peuple du mais de Roland Tremblay, 2006.




En 1613 (400 ans avant notre inventaire)...

Lorsque Samuel de Champlain remonte le cours de Katche-sippi (rivière des Outaouais), la première chose qui l'impressionne sont les Chaudières. En effet, la rivière des Outaouais est coupé en plein milieu par une lande de rochers où se déverse l'eau au fond d'une cavité formant de gros bouillons, tel le fond d'une "chaudière" (Asticou, en Algonquin, Anoò en Huron et Tsikanajoh en Iroquois). Les Amérindiens en font un lieu de culte. Pour obtenir la faveur et la protection des esprits, ils jettent du haut des chutes un plat de bois contenant du tabac. Dans les années 1600, les Iroquois déciment et chassent les autres tribus. Ils s'embusquent sur ce site pour prendre leur ennemi au piège...Ainsi, tout près du ruisseau de la Brasserie, des combats sanglants (et de cannibalisme) avaient lieu...


Chutes des Chaudières en 1807, aquarelle de George Heriot. Crédit: Mikan 2895745, Bibliothèque et Archives Canada.


Les "Chutes" des Chaudières aujourd'hui "maîtrisées" au bout de l'exutoire du ruisseau de la Brasserie.
 

Les eaux près du pylône sont plus tumultueuses que le courant autour retenu par les billots de métal.
 
 

1800, fondation de la ville de Hull

Quelques 200 années s'écoulent. Peu de Blancs s'aventurent dans cette zone sauvage qu'est l'Outaouais, route pourtant essentiel pour aller vers le Nord. Les plus courageux doivent affronter des rapides ou porter sur leur épaules leur canot à travers une forêt touffue lorsque la voie maritime devient impossible à naviguer. Arrivés à Long-Sault, dernier poste de la civilisation, les coureurs des bois recommandent leur âme à Dieu avant de s'aventurer dans le Far-West québécois qu'ils appelaient alors les Pays d'en haut. Vers la fin du XVIIIe siècle, désireux de coloniser le reste du Québec, le gouvernement du Bas-Canada offrent de vastes étendues de territoires à tous les colons qui veulent bien défricher la terre dans un laps de temps déterminé. La nouvelle se fait entendre jusqu'au États-Unis et tombe dans l'oreille de Philémon Wright, habile homme d'affaire natif du Massachussets qui trouve l'occasion de faire fortune. Après avoir obtenu tous les papiers et autorisations nécessaires, Wright et sa caravane composée de 37 hommes, 5 femmes et une vingtaine d'enfants quittent Montréal au début février 1800 pour un canton appelé alors le "Saut des Chaudières".
 
 
Site de Hull, carte du major G.A Eliot, 1825. Illustration tiré du livre Early days in the Ottawa country, 1967. Le point rouge montre la maison du fondateur qui était situé non loin du ruisseau de la Brasserie (flèche rouge).
 


Pendant plusieurs jours, les bûcherons doivent frayer un chemin avec leur haches  afin de faire passer les traîneaux à travers les forêts. Puis, le groupe décide d'atteindre les Chaudières en longeant la rivière couverte de glace. Nos colons rencontrent  alors un Amérindien avec sa femme et son enfant qui sont tout surpris de les voir arriver! Évidemment, une telle caravane dans un endroit aussi isolé ne passe pas inaperçue et les Amérindiens accourent pour leur demander ce qu'ils viennent faire par ici...Quand ils s'aperçoivent que les Blancs vont s'y établir de façon permanente, nos Amérindiens sont déçus et en colère: une fois de plus, ils n'ont pas été consulté par le gouvernement!

1800-1850 (Wrightown)

Wright dû faire bien des pourparlers auprès des Autochtones pour pouvoir s'établir quelque part... Une première ferme, une scierie et une forge se construisent près du Lac Leamy et sur le site des Chutes des Chaudières (baptisées temporairement Chutes Colombia par Wright). En 1804, un premier pont est construit au-dessus du ruisseau de la Brasserie. En 1806, la colonie a son forgeron, son meunier, son boulanger, son tailleur et son cordonnier. L'agriculture ne suffisant pas,Wright se tourne vers l'industrie forestière, car le bois est en forte demande  en l'Angleterre pour la construction de navires nécessaires contre les guerres napoléonniennes. Tout va pour le mieux. Deux ans après, tout le village est réduit en cendre par un incendie, le premier d'une longue suite de conflagrations (accidentelles et criminelles) que va subir la ville de Hull -appelée alors Wrightown- tout au long de son histoire.

Monument discret du fondateur de Hull au coin de la rue Montcalm et Taché juste en face de l'usine Eddy.


On reconstruit à nouveau. En 1813, Wright qui n'est jamais à court d'idée, se fait construire une brasserie et une distillerie sur le site du ruisseau qui allait désormais porter le nom de "Brewery creek" ou crique de la Brasserie (on se servira du mot crique jusque dans les années 1960 avant d'être remplacé par le mot ruisseau). En 1818, Wright et sa famille se font construire une spacieuse demeure sur la rive ouest du ruisseau de la Brasserie, dont la grande variété d'arbres (Orme, Peuplier, Érable, Noisetier) charment certainement les propriétaires et leur permet aussi de garder un œil sur leurs activités commerciales situées non loin de là, dont la fameuse brasserie (voir la carte plus haut). En effet, dans les années 1820, des milliers de travailleurs irlandais creusent le canal Rideau à Ottawa et réclament une bonne bière rafraîchissante! Pour répondre à la demande locale sans cesse croissante, Philémon Wright multiplie les tavernes au point qu'on surnomme bientôt Wrightown, "Beertown"!

Philémon Wright décède en 1839. Ses descendants, propriétaires des terres de Wrightown, règneront sur la ville et ses habitants pendant une bonne partie du 19e siècle...


Vue de la rivière des Outaouais et de la chute des Chaudières en 1857 d'après Stent et Laver. À l'extrême-gauche en bas du tableau, vous pouvez voir l'exutoire du ruisseau de la Brasserie qui passe en dessous d'un pont et le tracé du boulevard Alexandre Taché...Illustration tiré du livre: Hull, 1800-1950, de Lucien Brault, 1950.
 

Détail du tableau ci-haut. Si on compare à aujourd'hui, cet endroit mènerait vers l'actuel Place du Portage. Remarquez le petit pont de l'exutoire du ruisseau de la Brasserie.
 
 
Le voici aujourd'hui (du moins celui qui le remplace). Les terrains face au ruisseau de la Brasserie étaient occupés par un moulin et des cours à bois de la compagnie E.B. Eddy en 1900. On peut y observer une ancienne voie ferrée. En 2013, c'est l'entrée du parc des Portageurs. C'est là, au bout, qu'on peut voir ce qu'il reste des Chutes des Chaudières.
 

L'exutoire du ruisseau dans le parc des Portageurs...
 
 
...menant vers les "Chutes" des Chaudières.
 
 
On retourne sur nos pas en quittant le parc des Portageurs. Voici le Boulevard Alexandre Taché qui mène vers la Place du Portage et ses édifices fédéraux. Si je traverse la rue, je vais tout droit vers le ruisseau de la Brasserie.
 
 
 
Boulevard Alexandre Taché (anciennement Chemin d'Aylmer) qui va vers la Place du Portage. Le ruisseau de la Brasserie est à droite de la photo caché par la végétation, au bout de l'intersection. De l'autre côté du terre plein, une station d'autobus...
 
 
Le même endroit en avril 1898! Il y avait une ligne de tramway, près du terre-plein. Aujourd'hui, il y a une ligne d'autobus au même endroit! Photo Mikan 3321842, Bibliothèque et Archives Canada.
 
 
 
On recule dans le temps...L'actuel Place du Portage (intersection rue Eddy et Alexandre Taché) en 1870! En pleine époque des chantiers. Crédit photo: L'île de Hull: une promenade dans le temps, de Pierre-Louis Lapointe, 2004.
 
 
La rue Montcalm en avant-plan et les arbres du parc menant à l'îlot du ruisseau de la Brasserie (zone 1) en 1897. Le Boulevard Taché près de la E.B.Eddy Company qui mène sur l'actuel Place du Portage. Crédit photo: L'île de Hull: une promenade dans le temps, de Pierre-Louis Lapointe, 2004.
 
 
Intersection de la rue Montcalm et Boulevard Taché aujourd'hui. Le parc fait partie de la rive est du ruisseau de la Brasserie (zone 1).
 
 
Ces voitures se rendent vers la Place du Portage située au bout du boulevard Alexandre Taché. Reconnaissez-vous le bâtiment en pierre de la Eddy Company?
 
 
L'édifice de la compagnie E.B. Eddy construit en 1892 est le seul bâtiment industriel de pierre de l'Amérique du Nord à avoir survécu à la démolition.
 
 
En dépassant l'édifice de pierre de la compagnie E.B Eddy, on file toujours en ligne droite sur le boulevard Alexandre Taché où la famille Wright et plus tard Eddy se firent construire de splendides demeures non loin du ruisseau de la Brasserie pour jouir des beautés de la nature. Le boulevard Alexandre Taché a longtemps porté le nom de "Chemin d'Aylmer". Voici un de ses secteurs encore sauvages photographié en 1912 par William James Topley. Crédit photo: Mikan 3321883, Bibliothèque et Archives Canada.
 
  
 

1850-1900 (Ère industrielle) 

Pendant longtemps, la famille Wright va inféoder Wrightown dont une grande partie des terrains leur appartiennent. Les nouveaux arrivants ne sont donc que locataires de leur parcelle de terre et ne peuvent en aucun cas construire une maison. Ce régime de propriété appelé constitut empêche la petite bourgade de devenir un véritable centre urbain. En 1850, seulement 2811 personnes habitent Hull...À l'époque, il n'y a pas vraiment de services municipaux: chaque colon doit tracer et entretenir son chemin ou son bout de trottoir en bois...qu'il construit lui-même! Quant au système d'égoût, il est inexistant. Où les habitants puisent-ils l'eau pour boire? À la rivière des Outaouais ou dans le ruisseau de la Brasserie! Ce sont les vendeurs d'eau qui ont pour tâche de remplir les tonneaux, peu importe si l'eau est potable ou non. La dyphtérie et la fièvre typoide emportent les jeunes enfants et les adultes en moins bonne santé, mais à l'époque, qui s'en soucie? La crique de la Brasserie offre aussi de bonnes occasions de chasse et de pêche. En 1860, le ruisseau est si poissonneux qu'on étend des filets pour attraper les prises!


Pont de la rue Wright existe au moins depuis 1875 (photo circa 1980?, photographe inconnu). Jusqu'en 1878, les rues ne sont pas éclairées durant la nuit. Les seules sources de lumière sont l'éclairage à l'intérieur des maisons et... la lune! La Dominion gas light offre au conseil municipal 4 lampes de type "Bell vapor burner" en guise de test. C'est un tel succès que dix autres lampadaires sont posées immédiatement au pont du ruisseau de la Brasserie et dans d'autres rues avoisinantes! Crédit photo: Archives de la ville de Gatineau.


Rare photo du ruisseau de la Brasserie en 1898, par William H. Carre qui montre vraisemblablement la zone 2 où se trouve l'actuel Château d'eau. Deux manufactures de haches vont occuper ce site entre 1855 et 1885 (bâtiments de gauche et de droite). En 1890, les chutes du ruisseau sont acquis par la ville pour doter Hull d'un système d'éclairage électrique. Le Château d'eau qui sera construit entre 1905 et 1910 était une petite centrale hydroélectrique qui exploitait les chutes du ruisseau à cette hauteur (visible sur la photo). Crédit photo: Archives de la ville de Gatineau.
 
 
Le Château d'eau aujourd'hui en 2013. Tombé en désuétude en 1971, le Château d'eau sera reconverti tout d'abord en éco-musée, puis en restaurant-brasserie Les Brasseurs du temps.
 

Toutefois, le ruisseau commence à subir ses premières contraintes écologiques à partir  de 1854. En effet, Wrightown devient une ville essentiellement industrielle. Des compagnies de production de bois comme les entreprises Eddy ou Booth déboisent sauvagement et transforment la ville en un immense chantier à ciel ouvert. Le développement industriel en Outaouais se fait surtout dans l'île de Hull, particulièrement sur la berge de la rivière des Outaouais et sur les deux rives du ruisseau de la Brasserie. Et comme si ce n'est pas assez, on ouvre également deux immenses carrières de calcaire près du ruisseau de la Brasserie qui serviront en outre à fabriquer les pierres des édifices du Parlement à Ottawa! D'autres compagnies s'ajoutent aussi sans compter les habitants qui transforment peu à peu le ruisseau en décharge publique.


Ezra Butler Eddy et sa femme, en 1894 (Remarquez la peau de panthère!). Le couple se lance dans la conception de divers objets en bois pour l'usage quotidien avant de découvrir le potentiel $$ de la fabrication des allumettes! Eddy sera le principal employeur de la ville de Hull. Crédit photo: Mikan 3468800, Bibliothèque et Archives Canada.



Les rives de Hull sont couvertes par des blocs de planches, dessin de H. Brosius tiré du livre Early days in the Ottawa country, 1967.



En 1910, un feu de broussailles atteint la General explosive Company située sur la rive ouest du ruisseau de la Brasserie. Une terrible explosion s'ensuit, faisant éclater toutes les vitres de la ville de Hull, d'Ottawa et de la Pointe-Gatineau. Un tremblement de terre retentit ensuite dans un rayon de 16 kilomètres. Le feu va dévaster l'usine et une trentaine de maisons, causant  9 morts... Crédit photo: Il était une fois Hull/Hull, a trip in time, d'Eugène Dalpé, 2007.
 

Les maisons hulloises longues et étroites avaient la réputation de brûler comme de l'amadou! Jusque dans les années 50, on les appelait "maisons Papillon" d'après le nom d'un employé d'une scierie qui devait traiter avec les sinistrés qui venaient acheter du bois pour reconstruire leur maison. En 1989, l'expression changea pour devenir "maison allumette". Photo de la rue Charle, à l'ouest du ruisseau de la Brasserie après l'explosion de 1910. Crédit Photo: Il était une fois Hull/Hull, a trip in time d'Eugène Dalpé, 2007. 
 
 
Carte de la ville de Hull lors du Grand Feu de 1900; en rouge, le ruisseau de la Brasserie qui a épargné le quartier plus cossue de la rive ouest. Les parties sombres représentent les endroits où le feu s'est répandu. La ville à l'époque qui était parsemé de rochers d'escarpement, de fossé, de ruisselets avait aussi 4 lacs au lieu de deux aujourd'hui: le lac Leamy, le lac des Fées, le lac Flora et le Lac Minnows (près de la flèche). Ces deux derniers seront asséchés et enterrés sous une montagne de déchets et de carcasses d'autos avant d'être recouvert d'asphalte. Illustration tiré du livre Une ville en flammes, de Raymond Ouimet, 1997.
 
 
Sur cette photo du 26 avril 1900, il est 12h30 lorsque le feu commence à se répandre à Hull. Photo prise par Frederic E. Bronson, Mikan 3199092, Bibliothèque et Archives Canada.
 
 
Ruine de la rue Wellington après le Grand Feu de 1900, située non loin du ruisseau de la Brasserie...Photo Mikan 3363960, Bibliothèque et Archives Canada.
 

Wrightown, devenu Hull en 1875, est une ville laide et pauvre, malgré l'explosion démographique. Les habitants sont exploités à fond par les barons industriels qui n'en ont rien à cirer de la collectivité. Le trésor municipal est souvent à sec, car les hommes d'affaires ont envahi aussi la sphère politique et ne se soucient que de leurs propres intérêts. Il faut attendre 1886 pour que la compagnie Eddy fasse don de la petite île de la crique de la Brasserie (zone 1) pour qu'on y construise une usine de pompage et de filtration d'eau qui servira à alimenter les besoins de la municipalité en eau "propre", puisée directement dans le ruisseau. En 1890, la ville développe enfin son système d'aqueduc sous les rues Montcalm, Wellington, etc. Elle acquiert également la propriété des chutes du ruisseau de la Brasserie pour se doter d'un système d'éclairage électrique et d'une centrale hydroélectrique. Le bâtiment de pierre sera épargné par le Grand Feu de 1900, mais sera fermé par la suite pour cause d'inefficacité. En 1974, la Ville en fera le premier théâtre municipal du Québec.


Le Château d'eau devenu le Théâtre de l'Île illustré sur une carte postale. La ville y installe un "chlorinateur" pour purifier l'eau déjà polluée du ruisseau. Le bâtiment était aussi doublé d'une petite centrale hydoélectrique située plus au nord (zone 2) qui a gardé le nom de "Château d'eau".Crédit photo: Il était une fois Hull/Hull, a trip in time d'Eugène Dalpé, 2007.
 

En 1894, George Matthews désire installer un gigantesque abattoir public. Il obtient la permission de construire son usine près du ruisseau de la Brasserie deux ans plus tard. La George Matthews Company (devenue plus tard la Canada Packers Company) déversait le sang des animaux morts et jetait leur carcasse dans le ruisseau! L'eau du ruisseau était parfois si rouge que les habitants le surnommaient  "Bloody Creek"! Des cabanes en tout genre se construisaient près des rives, transformant le ruisseau de la Brasserie en véritable dépotoir infect! Crédit photo: Il était une fois Hull/Hull, a trip in time d'Eugène Dalpé, 2007.
 
 
À l'époque des chantiers,  à l'autre bout du ruisseau de la Brasserie, un autre problème se présentait pour le Père Louis-Étienne Reboul: il n'y a pas de pont pour traverser l'embouchure!
 
 
Le Père Louis-Étienne Reboul est considéré comme l'un des fondateurs de Hull, car il a mis en place de nombreuses infrastructures (école, commission scolaire, église, cimetière, construction de rues, ponts, chartre municipale, etc). Les Hullois doivent énormément à ce prêtre français né dans la région de l'Ardèche en France. Dessin de Mélissa Courchesne d'après une photographie.

 
 
L'actuel boulevard Fournier qui traverse l'embouchure du ruisseau, séparant Gatineau et Hull a été construit dans les années 70. Pendant longtemps les habitants de la Pointe-Gatineau utilisaient les traversiers ou les canots pour aller de l'autre côté de la rive...ou se rendre à l'église!
 
 
 
Le père Reboul acquiert vers 1864 un lot de terrains pour construire le cimetière Notre-Dame non loin du Lac Leamy (que l'on voit en arrière-plan sur la photo). Le problème est que l'embouchure du ruisseau de la Brasserie coupe net le bout de la route (à l'époque appelée "Chemin de la Gatineau"). Les habitants de la Gatineau (aujourd'hui secteur Gatineau) sont presque totalement coupé de la ville de Hull. Avant 1895, on passe par l'Ontario pour aller à Hull car il n'y a pas de pont ni de route entre le ruisseau de la Brasserie et la Gatineau! Reboul va demander une subvention au gouvernement pour construire un pont au-dessus du ruisseau de la Brasserie.
 
 

La fameuse sculpture de l'Ange de la Mort réalisée en 1902 par le sculpteur Arthur Vincent. La presque totalité des personnalités canadiennes-française de l'histoire hulloise reposent au cimetière Notre-Dame, dont Louis-Étienne Reboul.
 
 

 
1920-1950
 
Entre 1920 et 1935, la Grande Dépression entraîne la fermeture de plusieurs compagnies à Hull. Comme l'assurance-emploi n'existe pas, le gouvernement entraîne ses chômeurs dans tout de sorte de projets d'urbanisme, dont le ruisseau de la Brasserie en fera les frais! Mais cela ne suffit pas. Face à la crise, la population se tourne vers la Prohibition et ses plaisirs interdits! Dès 1920, la Prohibition sévit partout au Canada. Cependant, certaines lois québécoises permettent la vente libre des boissons alcoolisées. À Hull, les tenanciers de bar font des affaires en or: les Ontariens et les Américains n'hésitent pas pour franchir la frontière ou traverser l'autre côté de la rive pour aller boire où c'est permis! Les tripots, les maisons de jeux, le trafic d'alcool et le banditisme se développent rapidement au point qu'en 1921, Hull acquiert une mauvaise réputation. On la surnomme même le "Petit Chicago canadien", un surnom peu enviable qui lui collera longtemps à la peau...Paradoxalement, les clubs et les boîtes de nuit vont transformer Hull en destination incontournable du divertissement et devenir l'une des capitales du jazz au Canada! Cet âge d'or va se poursuivre tout au long des années après-guerre. Pendant ce temps, en 1947, paraît un livre d'un certain commissionnaire britannique sur les oiseaux du ruisseaux de la Brasserie...
 


Dans le cadre d'un programme visant à employer les chômeurs frappés par la crise des années 30, le gouvernement a eu l'idée de canaliser une petite partie du ruisseau et d'y construire des quais. Avant les années de Grande Dépression, on circulait assez mal sur les berges du ruisseau, rue Taylor. Plusieurs propriétaires riverains jouissaient d'un droit de passage sur les terrains de leurs voisins de derrière, rue Hanson.
 

Vue aérienne de la ville de Hull et en particulier la zone 1 du ruisseau de la Brasserie et son usine de pompage (futur Théâtre de l'Île) en 1922. Remarquez le parc des Portageurs qui est alors un terrain stérile et industriel. Crédit photo: L'île de Hull: une promenade dans le temps, de Pierre-Louis Lapointe, 2004.
 

Vue aérienne de la ville de Hull, des Chutes des Chaudières et vers la gauche en suivant la rive, le ruisseau de la Brasserie en 1923. Sur la rivière, du bois flottant. Il y en aura jusque à la fin du XXe siècle! Crédit photo: L'île de Hull: une promenade dans le temps, de Pierre-Louis Lapointe, 2004.
 

Détail de la photo précédente. Le point rouge est l'usine de pompage (futur Théâtre de l'Île) et la flèche vous montre le cours du ruisseau de la Brasserie! Après le 2e pont qui semble être le Château d'eau et quelques maisons (zone 2), le reste du secteur est complètement sauvage!
 

Tout au bout de la photo, vous pouvez voir l'embouchure du ruisseau et la cour à bois de la scierie Gilmour and Hughson (la grande cheminée) en 1926. Le parc Jacques-Cartier qui forme l'une des rives du ruisseau de la Brasserie servit aussi de chantier naval, de parc d'attractions et de manufacture de vêtements. Aujourd'hui, c'est un parc verdoyant! Au niveau écologique, on a fait un peu de progrès...Crédit photo: L'île de Hull: une promenade dans le temps, de Pierre-Louis Lapointe, 2004.
 
 
1960-1980
 
En 1969, Hull est en pleine phase de désindustrialisation. Les usines ferment les uns après les autres. La rive est du ruisseau de la Brasserie, surtout entre la rue Montcalm et Taché, comptent plus de 40 maisons, une école et deux manufactures. Le reste de l'île est couvert de maisons ouvrières, dont certaines sont délabrées, voire insalubres. L'aqueduc de la ville est vétuste et il n'y a toujours pas d'usine de filtration d'eau...Hull est l'enfant pauvre d'Ottawa, la capitale du Canada et  jalouse sa concurrente! De plus en plus d'élus locaux réclament du gouvernement que les dépenses fédérales soient transférées du côté québécois et que leur ville soit aussi le lieu de travail d'une partie des fonctionnaires fédéraux. En 1969, l'annonce tombe comme un couperet: on décide de tout raser pour construire un nouveau centre-ville et des tours de fonctionnaires. Pour cela, on va utiliser une méthode des plus radicales, dont les conséquences néfastes sont encore mal étudiées: l'expropriation de masse! Six mois plus tard, des pâtés de maisons entiers sont rasés, les familles déplacées s'exilent à Aylmer, à Gatineau ou ailleurs au Québec. Le tissu social se défait complètement et Hull perd peu à peu sa mémoire collective. On construit n'importe comment n'importe où sans étude préalable ni véritable consultation publique! Le ruisseau de la Brasserie n'échappe pas non plus à cette folie. Avec l'augmentation des automobiles et de l'arrivée massive des fonctionnaires qui n'utiliseront certainement pas les transports en commun, c'est le développement des autoroutes! Des ponts de béton recouvrent partout le ciel du ruisseau; on fragmente ses sols pour de l'asphalte, et ce, sans aucune conscience environnementale et esthétique. C'est le coup de grâce! En 35 ans, la population de l'Île de Hull chute de près de 50%! L'équilibre socio-économique peine encore à se relever aujourd'hui, d'où l'impression d'une ville moribonde. Comme à l'image de la ville qu'il a vu évoluer, le ruisseau de la Brasserie va lui aussi se vider de sa population aviaire: de 1950 à 2013, il ne reste plus que 75 espèces répertoriées sur les plus de 170 espèces d'oiseaux qu'on pouvait encore voir dans les années 40, soit près de 80%!
 
 
Ce pont métallique sera construit dans les années 60 pour permettre à la population locale de passer dans l'autre secteur. Avant il fallait faire un grand contour à travers les champs vers le territoire du lac Leamy pour aller dans l'autre secteur. Un petit chemin naturel, qui allait devenir plus tard la piste cyclable, s'y trouvait déjà. La crue pouvait envahir les berges faisant des pataugeuses temporaires au grand plaisir des enfants! Les deux ponts furent construits dans les années 70 (celui au dessus du petit pont) et début 80 (second pont en avant-plan). Un feu de forêt à proximité a permis à une nouvelle forêt de naître.
 
 
1980 et après...
 
 Depuis  1980, plusieurs tentatives ont été fait pour réaménager le ruisseau de la Brasserie sans succès. À l'heure actuel, la municipalité de Gatineau désire attirer le tourisme avec de grands projets de développement, dont le ruisseau de la Brasserie en ferait partie. Il faut tenir compte que le ruisseau de la Brasserie a un énorme potentiel pour un promoteur immobilier qui voudrait y bâtir des condos à proximité d'une zone naturelle en plein centre-ville. D'autres aimeraient transformer le ruisseau en parc urbain et culturel sans tenir nécessairement compte des besoins de la faune qui est établis depuis des générations. Enfin, il y a les amoureux de la nature qui aiment la beauté indomptable du ruisseau et qui voudrait protéger et conserver ce joyau naturel en faisant des choix intelligents sur son réaménagement environnemental.
 
Le ruisseau de la Brasserie apparaît pour plusieurs un lien dans l'identification culturelle de la ville, car depuis plus de 150 ans, Hull s'est construite autour de celui-ci. Il pourrait donc redevenir le point de départ de la mémoire collective hulloise.
 
 
 
Texte: Mélissa Courchesne et illustrations.
Sources: Une ville en flammes, Raymond Ouimet, 1997. Il était une fois Hull/Hull, a trip in time, Eugène Dalpé, 2007. Hull: mémoire vive, Raymond Ouimet, 2000. Hull, 1800-1950, Lucien Brault, 1950. Archives de la ville de Gatineau. Early days in the Ottawa country, 1967. L'autre Outaouais, Manon Leroux, 2012. Hier encore, numéro 2,  "l'épopée du jazz en Outaouais", collectif, 2010. Les Iroquoiens du Saint-Laurent, peuple du mais, Roland Tremblay, 2006. L'île de Hull: une promenade dans le temps, de Pierre-Louis Lapointe, 2004. Site web: Bibliothèque et Archives Canada.
 
 
 



5 commentaires:

  1. Félicitations!

    Wrightown = Wrightstown ou Wrightville (en anglais!)
    "Bell vapor bruner", bruner = burner?

    Adopt-a-tree. Get schools or neighbours to water newly planted trees weekly for first 3 years if no heavy rain, or longer if drought.

    Eradicate buckthorn! (nerprun). Please!

    Thank you, Merci, Mélissa.

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  2. Excellent résumé historique et très bon choix de photos. Bravo!.

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  3. Merci Mélissa !
    Je vient juste de lire au complet ton excellent texte.
    Je suis née a Hull en 1959 et j'ai appris des information sur ma ville que je connaissait pas.

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  4. On a rien vu ou lu sur les ''ornements'' du Pont du Ruisseau de la Brasserie. On a entendu dire il y a quelque temps que ces 'ornements' venaient de pièces usées de la Tour Eiffel à Paris. La France en aurait fait cadeau à l'ancienne Ville de Hull pour les cérémonies d'un anniversaire quelconque! Est-ce que vous pouvez confirmer cette nouvelles? Merci.

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